Recours contre une autorisation d'urbanisme et délai raisonnable

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2019
Recours contre une autorisation d'urbanisme et délai raisonnable
L'application de la jurisprudence Czabaj au contentieux de l'urbanisme.

En application de l'article R. 421-5 du Code de justice administrative :

"Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision.".

Sur le fondement de ces dispositions, le juge administratif a longtemps considéré qu'une décision notifiée sans mention des voies et délais de recours pouvait être contestée sans limite de temps : la jurisprudence est ancienne et récurrente (CE, 29 octobre 2001, req. n° 221713, mentionné aux tables du recueil Lebon ; CE, 1er octobre 2004, req. n° 363482, publié au recueil Lebon ; CE, 24 juillet 2009, req. n° 322806, publié au recueil Lebon ; CE, 5 décembre 2014, req. n° 359769, publié au recueil Lebon).

Le Conseil d'Etat est partiellement revenu sur sa jurisprudence historique dans un arrêt du 13 juillet 2016, req. n° 387763, élevé au rang des grands arrêts du contentieux administratif. 

Comme un grand coup de pied dans la fourmilière, la Haute Juridiction relève l'atteinte portée au principe de sécurité juridique du principe de contestation sans limite de temps et pose le principe d'un délai raisonnable :

" 5. Considérant toutefois que le principe de sécurité juridique, qui implique
que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu'en une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable ; qu'en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance ; ".

Ce délai raisonnable est ainsi fixé à une année à compter de la date de notification de la décision querellée ou à compter de la date à laquelle il est établi que le requérant en a eu connaissance.

Cette jurisprudence désormais célèbre - communément appelée Czabaj du nom du requérant - a reçu application dans le contentieux de l'excès de pouvoir, mais également dans celui des recours administratifs préalables obligatoires (RAPO), dans le contentieux pécuniaire et dans le contentieux fiscal.

La dernière application en date du principe de délai raisonnable est la bienvenue puisqu'elle concerne le contentieux de l'urbanisme et plus précisément, le délai de recours contre une autorisation d'urbanisme qui n'aurait pas fait l'objet d'un affichage régulier - comprendre ici une menton erronée ou absente des voies et délais de recours - conformément aux dispositions de l'article A. 424-17 du Code de l'urbanisme.

Ainsi, par un arrêt du 9 novembre 2018, req. n° 409872, mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d'Etat indique :

"
3. Considérant que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contesté indéfiniment par les tiers un permis de construire, une décision de non-opposition à une déclaration préalable, un permis d'aménager ou un permis de démolir ; que, dans le cas où l'affichage du permis ou de la déclaration, par ailleurs conforme aux prescriptions de l'article R. 424-15 du code de l'urbanisme, n'a pas fait courir le délai de recours de deux mois prévu à l'article R. 600-2, faute de mentionner ce délai conformément à l'article A. 424-17, un recours contentieux doit néanmoins, pour être recevable, être présenté dans un délai raisonnable à compter du premier jour de la période continue de deux mois d'affichage sur le terrain ; qu'en règle générale et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable ; qu'il résulte en outre de l'article R. 600-3 du code de l'urbanisme qu'un recours présenté postérieurement à l'expiration du délai qu'il prévoit n'est pas recevable, alors même que le délai raisonnable mentionné ci-dessus n'aurait pas encore expiré ; ".

Il est à noter que le recours contre une décision obtenue par fraude reste contestable sans limite de temps, le Conseil d'Etat ayant refusé de soumettre le retrait d'une telle décision au délai raisonnable d'un an (CE, 16 août 2018, req. n° 412663).

L'application du principe du délai raisonnable de la jurisprudence Czabaj au contentieux de l'urbanisme marque nécessairement la volonté du juge administratif, conforme à la propre volonté du législateur, de lutter contre les recours abusifs, notamment ici les recours dits "abusifs dans le temps".

Cette jurisprudence s'inscrit dans la démarche initiée par le législateur dans le cadre de la réforme de 2013 (l'ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 et son décret d'application n° 2013-879 du 1er octobre 2013 avaient introduit dans le Code de l’urbanisme de nouveaux outils permettant d'accélérer le règlement des litiges et de prévenir les contestations dilatoires) et renforcée avec la loi ELAN du 23 novembre 2018
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Le temps est au désengorgement des juridictions administratives et à la sécurisation des projets des constructeurs.

 

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